Le mur du 1er janvier 2025 est déjà là pour les constructeurs

Le mur du 1er janvier 2025 est déjà là pour les constructeurs

Alors que l'Europe s'apprête à durcir les normes d'émissions de CO₂ dès janvier 2025, plusieurs constructeurs automobiles européens tirent la sonnette d'alarme. Face à des ventes de voitures électriques moins robustes que prévu, ils demandent à Bruxelles un délai pour s'adapter aux nouvelles exigences environnementales. Un débat qui révèle les tensions entre impératifs écologiques et réalités économiques.

Une équation complexe pour les constructeurs

Les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) imposent aux constructeurs une moyenne annuelle d'émissions de CO₂ par véhicule vendu, sous peine de lourdes amendes. Jusqu'ici, ces objectifs ont été globalement respectés grâce à l'essor des ventes de voitures électriques et à l'amélioration des moteurs thermiques et hybrides.

Cependant, la situation se corse. Les ventes de voitures électriques ont commencé à fléchir depuis la fin de 2023, ne représentant plus que 12,5 % des ventes de voitures neuves en Europe depuis le début de l'année. Plusieurs facteurs expliquent ce ralentissement : suppression des bonus à l'achat en Allemagne, arrivée tardive des modèles d'entrée de gamme et inquiétudes des consommateurs sur l'autonomie et les infrastructures de recharge.

Des objectifs CO₂ difficiles à atteindre

À partir de janvier 2025, les normes CAFE seront renforcées, exigeant une moyenne d'émissions de 93,6 grammes de CO₂/km par véhicule. Pour donner un ordre d'idée, une Renault Clio thermique de base émet environ 120 g/km, une Clio hybride 95 g/km et une Mégane électrique zéro.

Cette nouvelle exigence met une pression supplémentaire sur les constructeurs. Le CAFE les pousse à vendre davantage de véhicules électriques ou hybrides à faibles émissions, tout en réduisant les ventes de modèles thermiques, souvent plus rentables. Sans une progression significative des ventes de véhicules propres, ils risquent de lourdes amendes pouvant atteindre jusqu'à 13 milliards d'euros, selon un document informel cité par Bloomberg et Le Monde.

L'appel à la flexibilité de certains constructeurs

Face à cette menace financière, le patron de Renault, Luca de Meo, également président de l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA), plaide pour un peu de flexibilité. « Il faut qu'on nous donne un peu de flexibilité », déclarait-il début septembre. « Mettre simplement des échéances et des amendes sans avoir la possibilité de flexibiliser ça, c'est très dangereux. »

Renault, autrefois pionnier de l'électrique, connaît une période de transition. Le groupe affiche actuellement un faible taux de véhicules à batterie dans ses ventes et mise sur sa future R5 électrique pour relancer la machine.

De son côté, le géant allemand Volkswagen enchaîne les déboires avec ses modèles électriques et vient d'annoncer un plan d'économies drastique. Ces difficultés renforcent l'inquiétude des constructeurs face aux objectifs CO₂ imminents.

L'anecdote du report des normes en Californie

Pour illustrer les défis auxquels font face les constructeurs, rappelons qu'en Californie, un État souvent en avance sur les réglementations environnementales, les autorités ont récemment accordé un délai supplémentaire aux constructeurs pour se conformer aux nouvelles normes d'émissions. Ce report a été motivé par les difficultés économiques engendrées par la pandémie et les problèmes d'approvisionnement en semi-conducteurs. Cette décision a été accueillie favorablement par l'industrie, qui a pu ajuster ses stratégies sans subir de sanctions immédiates.

Les conséquences potentielles sans ajustement

Selon le document informel adressé à Bruxelles, pour éviter les amendes, les constructeurs devraient réduire leur production de véhicules thermiques de plus de deux millions d'unités, soit l'équivalent de plus de huit usines européennes. Une telle réduction aurait des répercussions majeures sur l'emploi et l'économie du continent.

Les constructeurs envisagent également d'autres options, comme l'achat de crédits d'émissions de CO₂ auprès de marques moins polluantes. Par le passé, Honda et Jaguar avaient ainsi formé un groupement avec Tesla pour compenser leurs émissions. Cependant, cette solution a un coût et n'est pas viable à long terme.

Des positions divergentes au sein de l'industrie

Alors que certains constructeurs appellent à la flexibilité, d'autres estiment qu'il est trop tard pour changer les règles du jeu. Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, le numéro deux européen, a déclaré : « Du point de vue de la concurrence si chère à l'Union européenne, il serait surréaliste de changer les règles maintenant. Tout le monde connaît les règles depuis longtemps, tout le monde a eu le temps de se préparer, et donc maintenant on fait la course. »

Stellantis, qui regroupe 15 marques dont Peugeot et Fiat, affirme être en mesure de respecter les normes sans acheter de crédits supplémentaires, mettant ainsi la pression sur ses concurrents.

Les consommateurs au cœur du problème

La réticence des consommateurs à adopter massivement les véhicules électriques complique la tâche des constructeurs. Les inquiétudes sur le prix d'achat, l'autonomie des batteries et le manque de bornes de recharge freinent les intentions d'achat.

Les États pourraient jouer un rôle en renforçant les subventions à l'achat de véhicules électriques. Ces aides ont déjà prouvé leur efficacité dans le passé pour dynamiser le marché. Toutefois, les contraintes budgétaires et les priorités politiques varient d'un pays à l'autre.

Vers une solution commune ?

La situation actuelle appelle à une concertation entre les constructeurs, les institutions européennes et les États membres. L'objectif serait de trouver un équilibre entre les ambitions environnementales de l'Europe et la viabilité économique de son industrie automobile.

Les constructeurs demandent notamment à l'Union européenne d'activer une procédure exceptionnelle pour décaler de deux ans l'application des normes renforcées. Une décision qui permettrait à l'industrie de s'adapter sans subir de chocs brutaux.

Un défi technologique et logistique

Au-delà des normes, les constructeurs doivent également faire face à des défis technologiques. La production de véhicules électriques nécessite un approvisionnement stable en matières premières comme le lithium et le cobalt, essentiels pour les batteries. Les tensions sur ces marchés peuvent entraîner des hausses de coûts et des retards de production.

De plus, le déploiement d'infrastructures de recharge à grande échelle est indispensable pour rassurer les consommateurs. Sans un maillage territorial suffisant, l'adoption des véhicules électriques restera limitée.

Conclusion : une transition à orchestrer

La demande de certains constructeurs pour un délai sur les normes CO₂ souligne les complexités de la transition énergétique dans le secteur automobile. Si l'urgence climatique impose des actions rapides, les réalités économiques et industrielles ne peuvent être ignorées.

Il est essentiel que les différents acteurs travaillent de concert pour élaborer une feuille de route réaliste, conciliant impératifs environnementaux et soutenabilité économique. Les prochains mois seront décisifs pour déterminer la direction que prendra l'industrie automobile européenne.