Hydrogène : L'Europe mise-t-elle sur un mirage ?
Hydrogène : L'Europe mise-t-elle sur un mirage ?
Le 9 septembre dernier, Mario Draghi, ancien Commissaire européen et ex-Premier ministre italien, a présenté avec Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, le très attendu rapport sur "Le futur de la compétitivité européenne". Au cœur de ce document : l'hydrogène, présenté comme la solution miracle pour la décarbonation de l'industrie et la garantie de l'indépendance énergétique de l'Union européenne. Mais cette potion magique ne cacherait-elle pas quelques effets secondaires indésirables ?
Une vision séduisante, mais est-elle réaliste ?
Le rapport Draghi, fruit d'une vaste consultation, émet des recommandations pour stimuler la croissance de l'Union européenne en s'attaquant à trois enjeux majeurs : l'innovation, la réduction du prix de l'énergie tout en poursuivant la décarbonation, et le renforcement de l'indépendance économique et énergétique. L'hydrogène y est présenté comme l'élément central pour transformer l'économie européenne.
Certes, l'idée est séduisante. L'hydrogène vert, produit par électrolyse de l'eau grâce à des énergies renouvelables, promet une énergie propre pour les secteurs difficiles à décarboner comme l'acier, la chimie ou le transport lourd. Mais n'est-ce pas là une vision quelque peu idéaliste, voire naïve, de la réalité technologique et économique actuelle ?
Des investissements massifs pour quels résultats ?
Le rapport souligne que l'Union européenne représente 65 % du capital-risque mondial entre 2015 et 2019 dans le développement des technologies de décarbonation. Un chiffre impressionnant qui pourrait flatter notre ego continental. Mais derrière cette statistique se cache une question cruciale : ces investissements ont-ils réellement porté leurs fruits ?
Alors que Mario Draghi appelle à un soutien public massif pour accélérer le passage à l'échelle, on peut s'interroger sur l'efficacité de cette dépense publique. Les contribuables européens sont-ils prêts à financer une filière dont les résultats concrets restent encore incertains ?
L'hydrogène : une panacée aux nombreux défis
L'hydrogène est souvent présenté comme l'énergie du futur, mais sa production, son stockage et son transport posent de sérieux problèmes techniques et économiques. Produire de l'hydrogène vert nécessite une quantité colossale d'électricité renouvelable. Or, l'Europe peine déjà à atteindre ses objectifs en matière d'énergies renouvelables pour satisfaire la demande actuelle.
Une anecdote révélatrice : en Allemagne, pourtant championne de l'énergie verte, les éoliennes sont parfois mises à l'arrêt faute de réseau capable d'absorber la production. Comment alors envisager de détourner cette électricité pour produire de l'hydrogène, sans aggraver les tensions sur le réseau ?
La dépendance aux matières premières : un nouveau risque
Par ailleurs, l'électrolyse de l'eau nécessite des matériaux rares comme le platine ou l'iridium, dont les ressources sont limitées et souvent contrôlées par des pays tiers. En misant tout sur l'hydrogène, l'Europe ne risque-t-elle pas de troquer une dépendance (aux hydrocarbures) contre une autre, tout aussi problématique ?
Des infrastructures coûteuses à développer
Le rapport appelle au développement des infrastructures de transport pour l'hydrogène. Mais la construction de pipelines spécifiques ou l'adaptation des réseaux existants représente un investissement colossal. Et que dire de la sécurité ? L'hydrogène est un gaz extrêmement inflammable, rendant son transport délicat.
Une stratégie qui fait l'impasse sur d'autres solutions ?
En focalisant l'attention sur l'hydrogène, ne risque-t-on pas de négliger d'autres solutions potentielles pour la décarbonation ? La sobriété énergétique, l'efficacité accrue des processus industriels, ou encore le développement de technologies comme le captage et le stockage du carbone, mériteraient tout autant d'attention.
Le précédent de la Banque de l'Hydrogène
Le rapport Draghi préconise d'appuyer des initiatives comme la Banque de l'Hydrogène (Hydrogen Bank). Mais rappelons-nous que les précédents programmes massifs de soutien à une technologie unique ont parfois conduit à des impasses coûteuses. Le soutien inconsidéré au diesel en Europe, autrefois encouragé pour ses prétendues vertus écologiques, a mené au Dieselgate et à une pollution accrue de l'air urbain.
Philippe Boucly et l'optimisme de rigueur
Philippe Boucly, président de France Hydrogène, salue un rapport qui "met en évidence le lien étroit entre avenir industriel de l’Europe et décarbonation". Il appelle à massifier les enchères de la Hydrogen Bank et à financer à la fois l'hydrogène renouvelable et l'hydrogène bas-carbone issu du nucléaire.
Mais cet enthousiasme ne doit pas occulter les défis colossaux à relever. La France, qui mise sur le nucléaire pour produire de l'hydrogène bas-carbone, fait face à des retards et des surcoûts sur ses chantiers EPR. Peut-on raisonnablement compter sur une technologie qui peine à se renouveler pour alimenter une filière émergente ?
Une approche inclusive ou une dispersion des efforts ?
Le rapport prône une approche inclusive, promouvant les initiatives locales comme les Vallées Hydrogène. Si l'intention est louable, ne risque-t-on pas de diluer les efforts en multipliant les projets sans coordination efficace ? Les fonds européens, déjà limités, pourraient se perdre dans une myriade d'initiatives sans impact réel à grande échelle.
Le risque d'une course perdue d'avance ?
Pendant que l'Europe débat et investit massivement dans l'hydrogène, d'autres puissances mondiales avancent sur d'autres fronts. La Chine, par exemple, mise sur une électrification massive des transports et domine la production de batteries. Les États-Unis, avec l'Inflation Reduction Act, offrent des subventions généreuses pour relocaliser l'industrie verte sur leur sol.
L'Europe ne risque-t-elle pas de se retrouver à la traîne, ayant misé sur le mauvais cheval ? La compétitivité européenne pourrait en pâtir si l'hydrogène ne tient pas ses promesses à temps.
Une stratégie à double tranchant
Le rapport Draghi met en lumière des ambitions nobles et nécessaires pour l'avenir de l'Europe. Néanmoins, il est crucial de garder un regard critique sur les choix technologiques et stratégiques proposés. L'hydrogène offre des opportunités, certes, mais aussi des défis majeurs qu'il serait imprudent d'ignorer.
Plutôt que de tout miser sur une solution qui reste encore largement théorique à grande échelle, l'Europe gagnerait peut-être à diversifier ses approches, investir dans la recherche et garder une certaine flexibilité stratégique.
Après tout, n'oublions pas que l'histoire énergétique est jalonnée de promesses non tenues et de révolutions avortées. L'enthousiasme ne doit pas remplacer le pragmatisme, surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir industriel et énergétique d'un continent tout entier.
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