SUV : un engin de suiveur plus que de défricheur ?

SUV : un engin de suiveur plus que de défricheur ?

Amateur d'automobiles depuis (presque) toujours, une question me taraude depuis (plus) d'une dizaine d'années : quel est donc l'intérêt de rouler avec ce que l'on appelle aujourd'hui les SUV (Sport Utility Vehicle), sorte d'hybride automobile combinant le pire de plusieurs secteurs existants déjà. Surtout, qui blâmer dans cette nouvelle mode ? Les constructeurs ou les clients ? Vaste sujet !

Peugeot 3008

SUV : aventurier ou casanier ?

Si les SUV ont fait leur apparition mondialement dans les 20 dernières années (et même parfois un peu avant), ces drôles d'engins aux allures de 4x4 sans en avoir toujours les capacités ont toujours plus ou moins existé ! Oui, parfois, il suffit de créer un nouvel acronyme pour réinventer l'eau tiède, mais il faut croire que cela marche. International Harvester, Jeep et même GM dans son ensemble ou Ford ont tous tâter, depuis les années 50, dans la démocratisation du 4x4 pur et dur, tentant de le transformer en véhicule familial, ou de loisir, au choix.

Du 4x4 pur et dur au SUV moderne

Le meilleur à ce jeu-là restera Jeep qui, sous l'impulsion de Renault, développera des voitures à succès dans les années 80, Cherokee et Grand Cherokee en tête. Cependant, ces véhicules gardaient pour eux une certaine légitimité et proposaient pour la plupart le 4x2 en option quand la norme restait le 4x4. Mais l'idée était là : sortir de l'utilitaire le look tout-terrain pour l'adapter aux besoins (fantasmés, ressentis ou réels?) de la clientèle plus nombreuse des particuliers !

C'est quoi qu'il arrive le marché américain qui entraînera le monde entier dans cette tendance du paraître gros et puissant sans l'être, de l'illusion de sécurité comme d'espace. En Europe, dans les années 80 et 90, c'est le concept de monospace, lui aussi venu en partie d'Amérique, qui satisfait les familles nombreuses et qui se pose en concurrence des grandes berlines. Avec leurs gueules de squale, une modularité étonnante, et des performances pas si mauvaises, les monospaces se taillent la part du lion et beaucoup croiront en un nouvel Eldorado ! 

Les constructeurs plus spécialistes (Jeep, Land Rover, Mercedes, Toyota) continuaient à proposer des 4x4 moins utilitaires mais jouant plutôt dans la cours du grand luxe (Range Rover, Grand Cherokee, Classe G, Land Cruiser). On restait alors sur un marché marginal même si plus c'est gros, plus ça épate, quelle que soit l'époque ! C'est au milieu des années 90 que la donne commença à changer, en particulier chez les allemands !

BMW élargit le spectre vers le SUV

Chez BMW, la volonté de conquérir le marché américain passait inévitablement par un véhicule adapté à leurs désirs (leurs fantasmes?). De gros véhicules, pas forcément indispensables dans leur utilité première (passer partout) mais permettant d'affirmer tant sa réussite que sa puissance (sur la route ou ailleurs) : plus c'est gros, plus cela impressionne. Question de mentalité qu'on aurait pu croire que le X5 lancé à cette époque-là ne séduirait que les USA. Erreur : pour l'entreprise munichoise, il fallait aussi rentabiliser sa nouvelle usine de Caroline du Sud, et imposer son nouveau modèle sur le vieux Continent !

BMW X5 1ère génération

Chez Mercedes, on savait aussi que le vieux Classe G ne pourrait séduire que les amateurs de franchissement, les gentleman farmers ou les richissimes excentriques : on décidait, dans la foulée du concurrent bavarois, de concevoir le ML qui bénéficiera, en outre, d'une publicité bien amenée par Jurassic Park... La tendance était donnée d'autant que chez Volkswagen, on préparait en commun avec Porsche un Touareg (et par ricochet un Cayenne) à même de convertir définitivement l'Europe.

Le Porsche Cayenne ouvre les vannes

En 2002 et la présentation du Cayenne, les vannes étaient rompues entre l'Amérique et l'Europe : la nouvelle star n'était plus le monospace (ce que Renault n'avait toujours pas compris avec l'Avantime, - lien vers article Avantime - ) mais bel et bien ces drôles de 4x4 qui parfois ne l'étaient pas (vive le 4x2 bien moins cher), l'important étant de paraître plus que de faire ! C'est toute l'intelligence marketing de l'époque (et d'aujourd'hui encore) : faire croire à un besoin nullement établi ! L'espace intérieur, la modularité, devenaient prétextes, place à la taille, l'impression de sécurité, le fait de rouler dans un camion avec le plaisir de domination qui en découle !

Porsche Cayenne 1ère génération

maitre de la route ?

Avec le Cayenne, Porsche imposait une idée que Jeep, Range Rover ou Mercedes n'avaient pas réussi à imposer : donner envie plus largement que le marché du luxe sur lequel ces 4x4 se cantonnaient jusqu'à présent. En rendant désirable ces énormes engins, Porsche porte une responsabilité, car au même moment, toute l'industrie allemande lançait ses SUV. A ce moment là, ils restaient « haut de gamme » mais à l'instar du monospace qui s'était démocratisé au fur et à mesure (de l'Espace au Scénic pour rester en France), on entrait dans une nouvelle ère !

De l'exclusivité au mainstream en 20 ans

Aujourd'hui, le marché du SUV est écrasant. Sur les routes, ces véhicules surélevés sans avantage particulier (une Peugeot 3008 n'est pas plus logeable ni modulable qu'une 308, pas plus performante, plus lourde et plus consommatrice et souvent plus chère) mais allez savoir pourquoi, ils ont la faveur du public ! Leur seul avantage ? Une sécurité ressenti (mais pas meilleure qu'une berline). Pire, si leur succès au départ relevait d'une envie de rouler différemment que les autres, aujourd'hui, cette distinction n'a plus court tant les routes sont bondées de SUV.

Qu'en est-il en réalité ? Un SUV sera toujours plus lourd que son équivalent berline, pas plus logeable, plus consommateur d'énergie, pas aussi original qu'il y a 20 ans mais il possède un avantage alors qu'on culpabilise le conducteur sur les risques de la conduite : il rassure (à tort). Après libre à vous de continuer à rouler dans ces engins qui vous font passer pour des suiveurs plutôt que des défricheurs : vous avez 20 ans de retard !

Auteur : Luis Perenna